Icônes à Maurecourt

 

Qui pourrait imaginer qu’à Maurecourt de magnifiques icônes sont réalisées selon la technique la plus traditionnelle ? Personne, car Evelyne et Jacques Hervé, les artistes, ne souhaitent pas l’ébruiter. Ils ont quand même accepté le principe d’une visite virtuelle de leur atelier. Alors profitons-en ! Entrons avec discrétion et respect, presque comme dans une église, dans ce haut lieu de l’art religieux du confluent.

Mais avant de surprendre Evelyne et Jacques Hervé dans l’exercice de leur art, un petit parcours d’initiation à la spiritualité de l’icône pourra peut-être être utile à certains. Pour les autres, ou pour ceux qui sont impatients de les voir à l'oeuvre, sautez cette partie ! ... mais prenez quand même le temps d'admirer en passant les icônes qui jalonnent le texte et qui toutes sont de leur main.

Icône veut dire image. Ce fut une grande nouveauté du christianisme, par rapport à la religion juive, que de permettre la représentation de la divinité. Le christianisme s’autorise cette représentation en se fondant sur l’Incarnation même, par laquelle Dieu se fait homme en la personne du Christ : si Dieu a accepté de se montrer aux hommes, alors il est permis aux hommes de tenter de représenter le Christ, Dieu incarné, et tous ceux qui participent de sa divinité : la Vierge Marie, les anges et tous les saints.

D’ailleurs le Christ a laissé de lui-même plusieurs images miraculeuses, acheiropoïètes, c’est-à-dire non faites de main d’homme (linge avec lequel sainte Véronique essuya la face du Christ pendant la Passion et sur lequel resta imprimé son visage, …) ; toutes ont aujourd’hui disparues sauf une, celle du linceul ayant enveloppé son corps et conservé à Turin.

Cette liberté laissée par l’Eglise de représenter le Christ, la Vierge, les anges et les saints comporte cependant un risque : celui de l’idolâtrie, c’est-à-dire de l’adoration de l’image pour elle-même. C’est la crise de l’iconoclasme en Orient (VIIIe – IXe siècle) qui permit à l’Eglise de préciser sa position sur ce point, en distinguant l’acte d’adoration qui est réservé à Dieu de la vénération, forme de prière qui, au-delà de l’image à qui elle s’adresse, est destinée à la personne qu’elle représente.

Comment l’artiste va-t-il représenter la personne du Christ, à la fois vrai homme et vrai Dieu, et par extension les anges et les saints qui participent de cette divinité ? De l’importance relative accordée à l’humain et au divin dépend l’expression de l’art religieux.

C’est ce qui explique sans doute en grande partie le contraste que l’on constate aujourd’hui entre l’art chrétien d’Orient qui insiste plutôt sur le divin et le sacré et celui d’Occident qui met en relief l’humanité des personnages. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi et les premiers siècles du christianisme, très influencés par l’Orient, mirent partout l’accent sur le sacré et la divinité.

L’apparition en Occident de la statue comme représentation d’un personnage sacré et objet de vénération, totalement inconnue dans l’art chrétien oriental, fut déjà, par la mise en valeur du corps, une façon de déplacer la frontière entre humain et divin. Mais les statues de nos églises romanes et même, dans une certaine mesure, gothiques présentent encore une retenue dans les formes, l’attitude, l’expression du visage qui les apparente au style de l’icône. En fait, c’est surtout à partir de la Renaissance que la différence d’approche s’amplifie.

Faut-il pour autant opposer ces deux voies d’expression de l’art religieux chrétien ? Evidemment non, pas plus que dans la personne du Christ ne s’oppose sa nature humaine et sa nature divine. Insister, par exemple, sur l’humanité du Christ en le montrant souffrant dans sa chair le supplice de sa Passion, n’est pas en contradiction avec la représentation de la gloire divine de sa Résurrection. On peut ainsi admirer les icônes sans renier l’art religieux d’Occident … comme Evelyne Hervé qui entre deux icônes, a restauré une statue de la Vierge du XIXe siècle pour la mettre en bonne place dans l’église de Maurecourt !

C’est donc le souci de représentation du divin et du sacré qui est à l’origine du style si caractéristique de l’icône. Et puisque Dieu, par définition, ne change pas, l’art iconique lui non plus ne change pas (ou peu) : des premiers siècles du christianisme à aujourd’hui, du Moyen-Orient à la Russie (et à Maurecourt, Yvelines !), les thèmes, les modes de représentation, le style, la physionomie, le vêtement, les attributs des personnages … restent les mêmes. L’artiste, qui en principe ne signe pas ses œuvres, s’efface avec humilité et dévotion devant son modèle dont il cherche à reproduire au mieux la sacralité.

Citons quelques-unes des règles qui caractérisent l’art de l’icône et qui toutes ont pour but de tirer le fidèle de l’univers sensible dans lequel il baigne pour le conduire dans la contemplation de l’Au-delà :

·     Le passage de notre monde à l’espace sacrée de la représentation est matérialisé sur l’icône par une bordure et, en général, par un changement de plan, le sujet représenté étant en retrait par rapport à sa bordure ;

·        Les représentations sont très symboliques : il n’y a pas chez l’iconographe de souci de restituer la réalité de la nature mais au contraire une recherche d’abstraction avec un réalisme minimal permettant de reconnaître les objets présentés ;

·        Des fonds dorés … comme il n’en existe pas dans la nature, mais qui évoquent la lumière divine enveloppant les personnages ;

·        Une perspective systématiquement inversée (ce qui est le plus éloigné est le plus grand), là encore selon des principes de géométrie qui n’existent pas en ce bas monde !

·        Les personnages ont une attitude hiératique et un visage de face avec de grands yeux qui nous regardent et qui exprime une sérénité acquise pour l’éternité et à laquelle aucun sentiment humain passager (joie, tristesse, souffrance, crainte, …) ne peut plus se mêler.

 

C’est donc dans ce monde de l’icône, très spirituel et jusqu’alors inconnu pour eux, qu’Evelyne et  Jacques Hervé se son lancés il y a quelques années, par pur intérêt artistique et religieux, puisqu’ils ne commercialisent pas leur production. Ce sont principalement les icônes russes qu’ils cherchent à reproduire le plus fidèlement possible, mais il peut arriver (rarement) qu’ils se permettent quelque liberté par rapport au modèle. Au fur et à mesure que leur maîtrise de l’art progresse, les œuvres se font de plus en plus élaborées et demandent aussi plus de temps : réaliser une icône, de la préparation du support à la couche finale de vernis protecteur, peut demander de un an et demi à deux ans, compte tenu des différentes étapes … et aussi des autres activités qui les occupent.

Suivons pas à pas - sans y passer deux ans ! - les artistes dans leur travail. Quelques photos des principales étapes de l'une de leur dernière création, un triptyque représentant une Vierge à l'Enfant, nous serviront de fil conducteur.

Comme dans tout atelier, chacun a sa spécialité : Jacques prépare les supports et Evelyne les peint. Tout commence avec le choix du matériau, toujours du bois, d’une seule pièce, qui peut être du chêne, du hêtre, du frêne ou parfois du tilleul. Jacques se met au travail et produit des supports de forme et de relief de plus en plus compliqués. Depuis les premiers rectangles dans lesquels la partie centrale était évidée pour obtenir le retrait dont nous avons vu la signification, jusqu’au supports actuels comportant selon les cas, des arcades ou des grecques en relief, de la marqueterie, des incrustations de cristal et de pierres précieuses, et même une articulation en triptyque comme nous le voyons ici.

Le support ainsi préparé passe entre les mains d’Evelyne pour un traitement artistico-physico-chimique qui, tout bien compté (en simplifiant !), se déroule en dix temps. Les premières étapes ont pour but de rendre la surface du support aussi lisse que possible de façon que les couleurs, et en particulier l’or, brillent de tout leur éclat. Le bois est donc poncé minutieusement puis enduit de quatre couches de colle de peau de lapin (obtenue par dilution de poudre dans l’eau) qui vient combler le moindre interstice. Mais il faut aller encore beaucoup plus loin pour atteindre une surface parfaitement lisse : 12 couches, pas moins, mais très fines, d’un mélange de colle de peau de lapin et de « gesso » (plâtre) seront nécessaires. L’épaisseur totale de ces douze couches n’excédera pas un millimètre. Un dernier ponçage et la surface blanche est lisse et douce au touché comme une peau de bébé !

Cette surface vierge attend son dessin. Seule concession à la  modernité dans ce processus par ailleurs parfaitement traditionnel : Evelyne crée un « patron » à partir du modèle scanné et mis par ordinateur aux exactes dimensions du support. Les principaux contours sont ensuite matérialisés à travers le « patron » par des points qui sont ensuite reliés par un trait continu avec un style (c’est la méthode du « poncif »). Ce repérage n’étant pas très visibles sur la surface blanche, Evelyne applique du « bol d’Arménie », terre très fine brun-rouge diluée dans l’eau qui, une fois essuyé, ne laisse son empreinte que sur les contours gravés.

Courage, l’œuvre progresse : nous en sommes à la cinquième étape … et il n’en reste donc plus que cinq ! Mais ce sont les plus belles, car c’est là que le sacré va se révéler … avec l’aide de l’artiste !

Elément en effet important de la sacralité, l’or va être appliqué sur le fond de l’icône. Pour ce faire Evelyne enduit d’abord d’eau additionnée d’un peu de colle et de quelques gouttes d’alcool les surfaces à dorer. La feuille d’or très légère et très malléable qui va être appliquée n’adhèrera ainsi qu’aux surfaces mouillées par le liquide et les parties non adhérentes seront facilement enlevées. L’or ne prend ensuite tout son brillant qu’avec l’opération de « brunissage » qui consiste à le lisser avec un style d’agate.

Pour les autres couleurs, Evelyne fabrique elle-même ses peintures « a tempera » : en mélangeant un pigment à un liant constitué de jaune d’œuf et d’eau. En fonction de la couleur recherchée, les pigments peuvent être des terres (terre de Sienne, …), du cinabre (minerai de mercure, rouge), du bleu d’outre-mer, etc. L’application de la peinture se fait toujours en partant de la couleur la plus foncée et en allant vers la plus claire, avec des pinceaux de dimensions adaptées aux motifs : pour les détails les plus fins, les pinceaux n’ont que quelques poils … et ne vivent que le temps d’une icône !

Tout est enfin en place et au terme de ce long processus artistique qui a mûri sous nos yeux (en présentation accélérée) dans l’atelier de Maurecourt, l’icône se révèle comme l’oeuvre d’art et l’objet de vénération que nous attendions. Il reste encore à accomplir une opération qui constituera la dixième et dernière étape : appliquer une légère couche de vernis protecteur, pour que cette œuvre jouisse elle aussi, comme le sujet qu’elle représente, de l’éternité, ... ou presque !

Vous avez des questions, des remarques, vous souhaitez en savoir plus sur la confection des icônes ? Ecrivez à Evelyne et Jacques Hervé : eve-2006@wanadoo.fr

 

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