Noyau de Poissy

A consommer avec modération !

Cette mention légale étant faite, entrons dans le vif du sujet ou, si l'on veut, dans le cœur du Noyau. Ce cœur du Noyau prend la forme d'une petite et sympathique boutique de la rue du Général-de-Gaulle, dans le centre de Poissy, consacrée à la liqueur pisciacaise, à ses produits dérivés et aussi à d'autres produits de la société Pagès Védrenne, aujourd'hui propriétaire.

Mais pour tout savoir (ou presque) sur le Noyau, c'est dans l'arrière boutique qu'il faut aller, à l'occasion d'une de ces nombreuses visites organisées par l'entreprise elle-même, par l'Office de tourisme ou encore à l'occasion des Journées du patrimoines. C'est là en effet que vous aurez toutes les explications de la bouche d'une guide qui n'ignore rien de la fabrication ... pas même ses secrets. Alors, entrons dans la boutique et, après avoir montré patte blanche, glissons nous dans l'arrière-boutique pour entendre l'histoire du Noyau de Poissy.

C'est en fait l'histoire de deux Noyaux frères ennemis, le "vrai" et le "véritable", qui après s'être fait la guerre, se retrouvent aujourd'hui réconciliés et voisinent sur les étagères de la boutique de la rue du Général-de-Gaulle.

A notre gauche, le plus ancien, une liqueur obtenue par macération, à la robe délicatement  ambrée et qui remonte au XVIIIe siècle. Appelons-la "Dumont", nom de la famille qui reprit l'affaire en 1882. A notre droite le challenger, une liqueur distillée, parfaitement transparente et qui existait peut-être sous le nom de "ludivine" avant qu'elle ne prenne le nom de son nouveau propriétaire, Duval, en 1906. Que croyez-vous qu'il arriva entre Dumont et Duval ? Une guerre commerciale sans merci, à coup de procès, de "vrai" et de "véritable" que l'on s'envoyait comme des injures par étiquettes interposées ! L'affaire Dumont périclitant, Duval la racheta en 1954. Subitement devenu très œcuménique, il considéra que les deux liqueurs étaient aussi authentiques l'une que l'autre et  continua de les fabriquer et de les vendre toutes les deux, faisant simplement disparaître à cette occasion les "vrai" et "véritable" des étiquettes ! Exit donc Dumont ... mais exit aussi, en 1999, Duval, car la société est rachetée par le liquoriste Pagès Védrenne, le propriétaire actuel.

Pour des raisons pratiques et économiques une partie de la production a quitté le centre de Poissy, vers 1975, pour s'installer d'abord dans les environs (Les Alluets-le-Roy), puis à Cognac, puis à Nuits-Saint-Georges ... Mais pour justifier l'appellation de la liqueur, la distillation (étape essentielle, noyau  dur, si l'on peut dire !) a dû rester à Poissy . Nous avons ainsi la chance, en pénétrant dans l'arrière-boutique du Noyau de Poissy de ne pas nous trouver seulement dans un petit musée mais dans un véritable laboratoire où se fabrique, à raison de 10 à 15 distillations par an, l'esprit de noyau, essence de la liqueur distillée.   

La base des deux liqueurs, macérée ou distillée, c'est l'amande amère et parfumée provenant du noyau de l'abricot sauvage. A l'origine on avait recours aux abricotiers sauvages des environs, mais urbanisation et mondialisation obligent : on les fait aujourd'hui venir de Turquie (Anatolie).

La liqueur ambrée est le résultat d'un mois de macération des amandes et de diverses plantes aromatiques dans de l'Armagnac additionné de caramel dont elle tire sa couleur. Elle est ensuite filtrée et mise en bouteille. Davantage sucrée et moins alcoolisée (25°) que la liqueur distillée, elle est principalement utilisée pour la pâtisserie.

La fabrication de l'autre Noyau de Poissy est plus compliquée. Trois jours avant la distillation, on verse dans la cuve (à droite sur la photo ci-contre) 150 litres de cognac dans lesquels on met à tremper 20 kg d'amandes d'abricot. On ajoute aussi cinq éléments aromatiques naturels dont la nature et la proportion constituent le secret de fabrication jalousement gardé. Tout au plus est-on autorisé à savoir que parmi eux se trouve de l'écorce d'orange. On ajoute enfin des résidus de la distillation précédente impropres, comme on va le voir, à la consommation, mais qui contiennent des essences aromatiques qui viennent enrichir la nouvelle distillation. Pendant ces trois jours, le cognac s'imprègne des arômes et n'attend plus que le bouilleur de cru de la société Pagès Védrenne qui vient spécialement à Poissy pour présider à cette opération rituelle.

Le rite commence par le chauffage de la cuve. L'antique chaudière a été remplacée, mai le principe reste le même : elle chauffe de l'eau qui, sous forme de vapeur à 240°, vient réchauffer très progressivement, comme un bain-marie, le précieux mélange. Au bout d'environ une heure et demi, les premières gouttes apparaissent à la sortie de l'alambic. Elles proviennent de la vapeur d'alcool qui s'est condensée après être passée par le "col de cygne" en cuivre à la sortie de la cuve et par le serpentin.

Ce serpentin est immergé dans un réservoir cylindrique dans lequel circule en permanence un flux d'eau froide (photo ci-contre). C'est en fait une véritable colonne à distillation  recueillant à mi-hauteur les essences lourdes qui sont impropres à la consommation et sont renvoyées dans la cuve, et en bas le précieux "esprit de noyau". Mais attention : tout n'est pas précieux dans cet esprit de noyau : la tête (début) et la queue (fin)  de distillation contiennent des substances toxiques ou désagréables au goût et sont soustraites mais conservées pour une prochaine production. Les premières gouttes d'alcool titrent 92° d'alcool. Au fur et à mesure de la distillation, le degré baisse et on arrête l'opération à 50°. Ce taux d'alcool est contrôlé en permanence à l'aide d'un alcoomètre, sorte de tige en verre graduée, lestée et flottant plus ou moins dans l'alcool en fonction de sa concentration et donc de son degré. Une table de correction permet de tenir compte de l'écart de la température du liquide par rapport à la température pour laquelle l'alcoomètre est étalonné (20° Celsius). 

 

Au fur et à mesure de la distillation, l'esprit de noyau récupéré à la sortie de l'alambic dans des brocs en inox, est versé dans les chaudrons de cuivre ci-contre. En définitive on obtient environ 40 litres d'esprit de noyau titrant entre 80 et 82° d'alcool. Après avoir ajouté du sucre blanc, de l'eau distillée et des eaux florales, avoir bien homogénéisé le mélange et laissé reposé, on dispose d'un Noyau de Poissy, version distillée à 40°, près à la consommation. Il ne lui reste plus qu'à être embouteillé, mais cette opération, on l'a vu, ne se fait plus à Poissy.

La vente de ce produit très local est limitée : de 60 à 80 000 bouteilles par an ( dont 40% de Noyau obtenu par macération et 60% par distillation). Mais tout les espoir de mondialisation sont permis, car en 2002 la version distillée a obtenu la médaille d'argent au Concours international des vins et spiritueux de Shanghai, et le vaste marché chinois s'ouvre à elle : le saké n'a plus qu'à bien se tenir !

L'arrière-boutique de la rue Charles-de-Gaulle à Poissy n'est pas seulement un "laboratoire à esprit de noyau", elle est aussi un petit musée sur le Noyau de Poissy et sa fabrication. On y présente en particulier de magnifiques alambics en cuivre du milieu du XIXe siècle, qui ne sont plus utilisés aujourd'hui mais qui brillent encore de tous leurs feux.

 

Pour en savoir plus sur les visites organisées, rendez-vous sur le site de la ville de poissy. Pour en savoir plus sur le Noyau de Poissy, son utilisation dans les cocktails, les recettes, etc., rendez-vous sur le  site du noyau de poissy.