Vendanges à Conflans

Pour tout savoir sur le ginglet !

Le ginglet (mot qui signifie vin aigrelet) c'est bien sûr le vin de la région. Beaucoup en parlent, quelques-uns en ont bu, très peu le font ! C'est donc un rare privilège que d'assister (même virtuellement, comme ici) aux vendanges et à la fabrication de ce vin du confluent.

Petit à petit c'est devenu une fête : Fernand Berrurier et ses soeurs, Christiane et Marie-Thérèse, propriétaires des deux dernières parcelles de Conflans convient leurs amis, auxquels se joignent quelques curieux, à perpétuer avec eux cette tradition qui remonte à  1931, année où leur père Eugène Bérurrier planta les vignes. A l'heure où des communes alentour (Herblay, Saint-Germain-en-Laye, ...) s'emploient à recréer de toute pièce un petit vignoble qui avait disparu depuis bien longtemps de leur territoire, les Bérrurier ont su, eux, résister aux vents de la modernité et aux marées de l'urbanisation et conserver à Conflans cette tradition.

 

Tout commence au petit matin un jour de septembre, quand le raisin est bien mûr et  qu'il fait beau. Le tracteur et sa remorque ont été préparés la veille dans la cour de la ferme. Les grandes hottes traditionnelles faites de lattes de bois tenues par des cerclages de fer, que l'on portait avec des sangles sur son dos comme un sac à dos, ont été remontées de la cave. Elles ont été chargées dans la remorque et y resteront, car la surface à vendanger n'est pas si grande et on les remplira au fur et à mesure du raisin recueilli dans des paniers moins lourds à porter. Avant le jour, le tracteur pointe ses deux gros yeux blancs et sa truffe frémissante au portail de la ferme, prêt à bondir à l'assaut des vendanges à la première sollicitation de Fernand.

 

Ce jour-là, direction : "Gaillon" (en fait, avenue de Bellevue). Quelques jours auparavant, c'était  "Cailloys", l'autre vigne, le long de la voie de chemin de fer. La petite équipe de vendangeurs se retrouve bientôt à pied d'oeuvre. Le temps de garer le tracteur, de mettre en place l'échelle qui permettra de décharger le raisin dans les hottes par dessus la ridelle, de distribuer les "outils de travail" à chacun (un sécateur et un panier, tout simplement !), il fait jour et la vendange peut commencer : à chacun son rang et en avant ! En fait, Fernand est venu quelques jours avant retirer les filets qu'il avait étendus sur les vignes un mois avant pour protéger les précieuses grappes des escadrilles d'oiseaux tentés de fondre sur cette cible inespérée dans notre région !

Ce matin-là de petits visiteurs venus avec leur maîtresse d'une école voisine découvrent, en bons citadins du nord de la France qu'ils sont, ce qu'est la vigne et la vendange ... et apprennent à goûter "le fruit de la vigne et du travail des hommes" car, après avoir parcouru les rangs et écouté sagement les explications de Fernand, ils repartiront chacun avec une grappe de raisin à manger sur le chemin du retour.

             

Les paniers se vident dans les hottes de la remorque à un rythme soutenu, raisin blanc d'un côté, raisin noir (le plus abondant) de l'autre. On se limitera à cette distinction, car au cours des âges, les pieds de vigne morts ont été remplacés par d'autres, rarement du même cépage. De sorte qu'aujourd'hui règne sur la parcelle une riche diversité ! Plus d'une vingtaine de cépages différents  répartis au hasard : du baco, de l'oberlin, du tomure, ...  Le vin, rouge ou blanc, n'en sera que plus riche en arômes !

Après une pause bien méritée et arrosée, comme il se doit, de ginglet blanc de l'année précédente, l'équipe des vendangeurs se remet au travail. Avant midi tout est terminé, il n'y a plus un grain de raisin qui traîne sur la parcelle et l'équipage, lourdement chargé, peut s'en retourner jusqu'à la ferme de la famille Berrurier. Là, la destination diffère selon la couleur du raisin. Le raisin blanc sera versé directement dans le pressoir où il sera pressuré immédiatement, car pour obtenir du vin blanc, le jus ne doit pas séjourner avec la peau et la pulpe. Les hottes contenant le raisin noir sont vidées dans une cuve où il est  foulé légèrement. Mais personne n'y met les pieds ! Des pilons en bois sont prévus à cet effet. L'opération terminée, tous les amis se retrouvent autour du repas pour échanger leurs impressions sur la vigne, le raisin, les courbatures, etc. Fin du premier acte.

Le deuxième acte, pour le raisin noir, c'est une magnifique transformation chimique de la nature qui, comme souvent, se fait dans la discrétion : les grains de raisin écrasés se décomposent lentement et le sucre contenu dans le jus de raisin commence à se transformer en alcool. Le vigneron Fernand garde un œil sur la cuve et au bout de trois ou quatre jours, lorsqu'il estime que la belle soupe de raisin a assez mijoté (c'est-à-dire, ici, fermenté), il décide de la passer au pressoir et la suite des opérations sera alors la même que pour le raisin blanc.

 

Le pressoir se compose d'un gros cylindre en bois à claire-voie d'environ 1,50 m de diamètre. Il agit comme un filtre, laissant passer le jus recueilli dans une rigole circulaire située à sa base, et retenant la rafle (la partie de la grappe qui porte les grains de raisin), la peau des grains et les pépins. Pour compléter ce filtrage, Fernand ajoute sous le bec par lequel sort le jus, un filtre artisanal et naturel constitué de paille (donc, pas question de filtre Mellita !).

Comme son nom l'indique, le pressoir permet d'exprimer tout le jus en comprimant la "soupe de raisin". pour ce faire, on reconstitue à la surface de ce mélange un disque de bois à partir d'un puzzle assez simple (4 pièces) ! C'est sur ce disque que va agir la presse qui fonctionne comme une sorte de gros boulon se visant sur une tige filetée verticale et appuyant sur le disque de bois par l'intermédiaire de calles répartissant l'effort sur toute la surface. un bras à cliquet permet de visser progressivement ce "boulon" par un mouvement alternatif (si vous n'avez pas tout compris sur le fonctionnement du cliquet ... cliquez vous aussi, mais sur l'image ci-après, et Fernand vous fera la démonstration !). Le soir venu, le jus de première pression est écoulé et quelques mouvements du bras du pressoir permettront de relancer l'écoulement du liquide pour la nuit. Mais il s'agira alors d'un jus différent, provenant pour l'essentiel des rafles, de la peau et des pépins et dont l'acidité garantira la conservation du vin.

 

 

 

 

 

 

 

A mesure qu'il s'écoule du pressoir, le jus est porté en cave dans des seaux et vidé dans les tonneaux, des pièces de 110 litres, dont certains, fabriqués dans la région bordelaise, ont été livrés cette année. Les tonneaux ne sont remplis qu'à environ 90%, le volume restant étant réservé au jus acide qui s'écoulera du pressoir pendant la nuit et dont l'intérêt, comme nous l'avons vu, est de permettre la conservation du vin dans de bonne conditions.

Une fois remplis à ras bord, les tonneaux sont maintenus ouverts une quinzaine de jour, le temps que se poursuive et s'achève la fermentation, c'est-à-dire la transformation du sucre en alcool. Cette réaction chimique s'accompagne de dégagement gazeux : le liquide "bout" et déborde par la bonde en rejetant par la même occasion toutes les impuretés (pépins, peaux, etc.) qui peuvent encore s'y trouver. Après quoi les tonneaux sont bouchés hermétiquement et le silence retombe sur la cave au moins jusqu'en mars-avril de l'année suivante, époque à partir de laquelle il devient propre à la consommation et titre, bon an mal an, entre onze et douze degrés (il a même atteint quatorze degrés en 2005). Mais il peut ensuite vieillir en tonneau pendant plusieurs années. Le moment venu, le tonneau sera ouvert en introduisant une cannelle (robinet de bois) dans un trou prévu à cet effet sur sa face avant. Le vin devra alors être mis en bouteille rapidement car il se "pique" (il se transforme en vinaigre) au contact de l'oxygène de l'air. 

Cette présentation des vendanges et de leur suite ne doit pas faire oublier tout le travail qui les a précédées et dont la liste est impressionnante :

- en octobre, on épand sur le terrain du sulfate de fer ;

- en novembre, on "retrousse" la terre (on dégage les pieds de vigne de la terre qui les entoure) ;

- en mars, c'est la taille, car il faut suivre le dicton : "taille tôt, taille tard, mais taille en mar(s) !" ;

- au printemps il faut "rechausser" c'est-à-dire ramener sur les pieds la terre qu'on avait enlevée;

- en mai c'est l'ébourgeonnage (on coupe les bourgeons superflus) ;

- en juin il faut rattacher aux fils de fer qui courent le long des rangs de vignes et qui servent de tuteurs,  les sarments qui ont poussé; on utilise pour cela des chalumeaux (brins) de paille de seigle ;

- entre juin et juillet, on passe dans les rangs à deux ou trois reprises pour couper les sarments ;

- entre avril et août, on doit traiter la vigne à trois reprises par pulvérisation de soufre et de caratane contre ses parasites traditionnels (eux aussi !) que sont le mildiou et l'oïdium ;

- pendant la même période, il faut biner la terre trois à quatre fois ;

- en août, on pose les filets protégeant les grappes des oiseaux ;

- fin août - début septembre, il faut préparer les tonneaux : on les remplit d'eau pour que le bois gonfle, que les douves reprennent leur place et qu'ils retrouvent leur étanchéité ;

- Il faut ensuite les soufrer, c'est-à-dire introduire dans le tonneau une mèche incandescente qui dégage des vapeurs de soufre détruisant toutes les bactéries susceptibles d'altérer la qualité du vin.

Le couronnement de tout ce travail c'est le concours de la foire Saint-Martin (11 novembre) à Pontoise. Parmi beaucoup d'autres vins produits artisanalement en Ile-de-France, le vin de la famille Berrurier y est régulièrement primé par le jury dégustant à l'aveugle. Ainsi pour la vendanges 2006,  Fernand a obtenu la deuxième marche du podium pour son baco 2007. La séance de dégustation par un jury qualifié a eu lieu à Pontoise en présence de Philippe Houillon, député-maire de Pontoise.

Ce succès méritait bien une étiquette spéciale... Mais attention : la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes veille : elle fixe des règles très précises à respecter pour libeller les étiquettes. La mention "vin de table" est obligatoire, pour éviter toute ambiguité avec d'autres appelations  (vin de pays, ...). L'indication du pays d'origine du vin est, elle aussi, obligatoire (très utile pour les exportations de ginglet de Conflans vers le marché chinois). Par contre la mention du terroir y est interdite. Mais le lieu d'embouteillage (dont la mention, elle, est obligatoire) donne une bonne idée du lieu de production ... Ce qui permettra au Chinois avisé, mais dont le palais ne serait pas encore assez formé, d'éviter de confondre entre un ginglet de Conflans et un ginglet d'Andrésy. La mention du millésime y est également interdite mais, là encore, l'administration fait bien les choses : elle impose d'indiquer un numéro de lot (ici, en bas à gauche) dans lequel on retrouve souvent une suite de quatre chiffres qui ressemble fort à un millésime ...

Après le légal, le local : la photo représente une des deux vignes de Fernand Berrurier, celle de la rue des Cailloys avec, au fond, l'église Saint-Maclou, telle qu'on peut la voir par un beau jour de septembre. Les pampres qui entourent la photos sont locaux eux aussi : il s'agit des décorations en bas-relief entourant le blason de Conflans placé sur l'escalier monumental d'accès au parc municipal.

Et pour conclure cette présentation, une dégustation de ce ginglet de terroir parfaitement naturel s'impose. Le verre et une bouteille sont là, il n'y a plus qu'à cliquer sur la photo pour déboucher la bouteille et se servir ... avec modération !

 

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Pour en savoir plus sur la culture de la vigne en Ile-de-France : Vignerons Franciliens

 

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