Pomme de terre à Andrésy ...

... et alentour

La pomme de terre au pays d'Andrésy et alentour : c’est une publication récente du Club historique d’Andrésy  qui a de quoi mettre l’eau à la bouche. Les auteurs (Gabriel Dupuy et Gilbert Tessier) se sont informés aux meilleures sources de la culture et de l’agriculture locales. Ils ont épluché, coupé en quatre, fait revenir et mijoter les mémoires d’homme et les archives pour nous servir une mousseline délicate et légère, mais consistante.

Contrairement à une idée bien reçue chez nous, en matière de patate tout ne commence pas avec Parmentier, mais avec les populations des hauts plateaux andins qui la récoltaient à l’état sauvage il y a quelque 9000 ans. Les Incas se mirent à la cultiver et trouvèrent même un moyen de la conserver pendant plusieurs années, par une sorte de lyophilisation naturelle, en la laissant geler la nuit et sécher au soleil le jour, ce qui permettait de constituer des réserves pour les mauvaises années. La pomme de terre joua pour eux le rôle que jouèrent à la même époque le blé et d’autres céréales dans le bassin méditerranéen.

Des hauts plateaux andins aux hauteurs d'Andrésy : les mêmes champs de pommes de terre !

Premiers symptômes de mondialisation : la pomme de terre va progressivement se répandre dans le monde (comme le blé atteindra les Andes). Ce sont les conquistadores espagnols qui seront les premiers agents de cette diffusion : en Espagne et en Italie, puis en Belgique, en Allemagne, en Autriche, en Suisse. Une autre voie d’exportation passe par le Mexique, la Virginie, le Canada, l’Irlande et les pays nordiques. Et la France dans tout cela ? La trace de la pomme de terre aurait été repérée à Paris en 1660 et dans la région parisienne, donc peut-être aux abords du confluent, vers 1730.

C’est que les obstacles à sa propagation sont nombreux. Question de Culture ? Peut-être un peu, mais bien plutôt de culture : il fallait donner le temps à la tubercule de prendre racine. Descendre des hauts plateaux andins (2000 – 4000 m d’altitude), changer de climat, voir les saisons s’inverser, s’habituer à vivre avec de nouveaux parasites n’est pas si simple.

Et toujours pas de Parmentier ! Patience, il arrive ! Mais plutôt en habile propagandiste de la tubercule qu’en génial agronome. Il ne fait aucune découverte scientifique majeure et même est-il vraiment le père du hachis qui porte son nom ? Son mérite aura plutôt été de favoriser sa diffusion. Lui, l’apothicaire des armées, va faire cultiver la pomme de terre à grande échelle, sur un terrain militaire de 25 ha proche de Paris, à Neuilly-sur-Seine, donc pas loin non plus du confluent. Il fait visiter sa culture à Louis XVI qui est à ce point conquis qu’il ordonne qu’après la récolte, un plat de ce légume soit servi chaque jour à Versailles. La pomme de terre va-t-elle devenir un luxe de bo-bo (ou plutôt d’aristocrate-bohême, à l’époque) ? Parmentier a senti le danger, et pour y intéresser aussi le petit peuple, il fait garder son champ nuit et jour, attirant par là même sa curiosité et sa convoitise. Le bouche-à-oreille et la faim feront le reste. Et c’est ainsi que la culture de la pomme de terre s’est répandue dans toute la France, et sans doute plus rapidement encore, dans nos communes toutes proches du champ expérimental.

Cette culture devient rapidement pour notre région une activité économique majeure dont le développement va de pair avec le progrès industriel. Les chemins de fer apportent le plant de Hollande ou d’ailleurs. Les gadoues débarquent de Paris par wagons entiers aux gares de Conflans, Andrésy ou dans celles du petit train Poissy – Pontoise ; la viande et le sang séché, autres engrais, arrivent des abattoirs ou de l’équarrissage de l’Hautil. A Andrésy, Pierrelaye, Carrières ou Achères, on irrigue avec l’épandage des eaux d’égout de Paris. La main-d’œuvre manque et l’on fait venir des ouvriers agricoles de Belgique, de Tchécoslovaquie, de Pologne et même, pendant la grande guerre, des Annamites d’Indochine (photo). Mais dès les années 1880, la mécanisation de la culture réduit les besoins de main-d’œuvre. Au début du XXe  siècle apparaissent les premières arracheuses à pomme de terre.

Que fait-on de la pomme de terre produite ? On la mange bien sûr, mais on la vend aussi aux Halles de Paris. Et puis elle est destinée en grande quantité, aux deux féculeries de Conflans qui s’installent à la fin des années 1830 à Chennevières et sur le quai de Gaillon (photo ci-contre). La fécule extraite de la pomme de terre est mélangée à la farine pour produire le pain, elle est utilisée aussi pour produire du glucose ou pour fabriquer des colles pour le textile. Les féculeries vendent aux cultivateurs les plants adaptés et leur achètent ensuite leur production.

Arrivent les années les plus sombres de notre histoire. La pomme de terre est courtisée, mais le plant manque, les surfaces disponibles pour la culture aussi. On parle de réquisitionner un terrain de sport à Andrésy : culture agricole contre culture physique, une guerre dans la guerre ! Et par-dessus le marché, le doryphore débarqué des Etats-Unis quelques années auparavant, qui fait des feuilles ses choux gras ! Le salut ne se trouve plus que dans les rutabagas et les topinambours …

Aujourd’hui, même si la consommation de pomme de terre a baissé, elle s’établit encore à 70 kg par personne et par an. Et inutile de compter sur la production locale pour satisfaire les besoins, car l’ennemi n’est plus le doryphore mais l’urbanisation : elle stérilise les terres et dope la consommation ! Et même dans les lotissements spacieux et classieux où la tubercule pourrait trouver place, « le gazon chasse la pomme de terre » et les règlements de copropriété interdisent toute culture potagère. Résultat : alors qu’en 1906, sur la seule commune de Conflans, 270 ha étaient consacrés à la pomme de terre, aujourd’hui, pour tout le département des Yvelines, il n’y en a plus que 380.

Et pour demain ? Un retour en force de la pomme de terre par le biais de l’éthanol, tant vanté comme carburant en ce moment, est-il possible ? Rappelons qu’Aimé Bonna, avant de se lancer dans la fabrication de tuyaux en ciment, avait construit à l'emplacement de l'usine actuelle une distillerie qui produisait de l’éthanol à partir de topinambours. Un retour aux sources donc ; la revanche du rural sur l’urbain, du plant sur le plan ? Les auteurs ne se montrent guère optimistes à ce sujet car « un rapide calcul montre que pour alimenter en bioéthanol toutes les voitures des Andrésiens, il faudrait cultiver des pommes de terre sur une surface égale à celle de toute la commune d’Andrésy [et] le carburant produit coûterait environ quatre fois plus cher que le super. »

Avec « Maths et patates », les auteurs placent en annexe une savoureuse description de l’évolution de l’enseignement des mathématiques appliquée au cas de la pomme de terre : sans en déflorer le détail, disons qu’on y voit comment à notre époque se transmet l’enseignement de génération en génération, un peu comme une patate chaude … qui refroidit rapidement !

Pour tout savoir sur la pomme de terre à Andrésy et dans les environs, commandez La pomme de terre au pays d'Andrésy et alentour, ouvrage de 34 pages magnifiquement illustré de photos souvent originales et rares, au prix de 9 €, auprès du Club historique d’Andrésy (http://membres.lycos.fr/andresy/).