C'est
une église d'Argenteuil que beaucoup d'entre nous ont déjà aperçue, de loin, à
travers la vitre du train de banlieue qui les emmène à Paris ou les en ramène.
Mais combien s'y sont déjà rendus et combien savent que cette basilique
renferme une précieuse relique de la Passion du Christ ? La Sainte
Tunique conservée dans un reliquaire de la basilique Saint-Denys
d'Argenteuil est en effet plutôt tombée dans l'oubli dans la deuxième
moitié du XXe siècle. Mais
depuis quelques années, elle fait à nouveau régulièrement parler d'elle.
Ainsi
depuis trois ans, des pèlerinages préparatoires à
la Semaine sainte sont organisés à la basilique d'Argenteuil. Ces pèlerinages
sont l'occasion de
méditer sur la Passion du Christ et de se recueillir sur cette relique
mentionnée dans l'évangile de saint Jean :
"Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses vêtements dont ils firent quatre parts, une pour chaque soldat, et la tunique. Cette tunique était sans couture, tissée tout d'une pièce de haut en bas; ils se dirent entre eux : ' Ne la déchirons pas, mais tirons au sort qui l'aura.' Ainsi s'accomplissait l'Ecriture : ' Ils se sont partagés mes habits, ils ont tiré au sort mon vêtement.' Voilà ce que firent les soldats."
Le professeur Gérard Lucotte, généticien et conflanais, qui s'intéresse depuis longtemps à cette relique, vient de publier un nouveau livre, Sanguis Christi (Guy Trédaniel éditeur), qui fait le point des connaissances acquises. On trouvera sur ce site la transcription de l'entretien qu'il nous a accordé.
A
vrai dire, ce n'est pas le
premier livre publié sur la Sainte Tunique et il convient en particulier de rendre
hommage au travail du Père François Le Quéré, chancelier
de l'évêché de Pontoise qui, dans un livre publié en 1997 (La Sainte Tunique d'Argenteuil,
François-Xavier de Guibert, éditeur), a eu le mérite de faire le point sur les
connaissances historiques et scientifiques de l'époque.
Disons tout de suite que cette relique n'est pas spectaculaire comme le linceul de Turin qui conserve l'image énigmatique d'un corps et, sans doute pour
cette raison, n'a pas fait l'objet d'autant d'études. La Sainte Tunique
d'Argenteuil se présente sous la forme d'un vêtement de laine de couleur brun
rouge, très abîmé,
incomplet et constellé de trous. Cette relique est
conservée à Argenteuil au moins depuis le milieu du XIIe siècle, et peut-être
depuis le début du IXe siècle. Selon certaines sources, elle pourrait en effet
avoir été donnée par l'impératrice de Byzance, Irène, à Charlemagne
qui l'aurait donnée en
814 à sa fille Théodrade, abbesse du couvent d'Argenteuil (d'après le livre de Pierre Dor, La tunique d'Argenteuil et ses
prétendues rivales, éditions Hérault). C'est d'ailleurs cette hypothèse qui a inspiré la peinture
murale de la basilique Saint-Denys représentant l'arrivée de la relique à
Argenteuil et reproduite ci-après.
La quatrième de couverture de l'ouvrage de François Le Quéré se terminait sur ces mots : "Puisse ce livre, qui fait la synthèse des études actuelles, permettre à tous de découvrir ou de mieux connaître une des plus insignes reliques de la Passion du Christ qui, depuis plus de mille ans, est à quelques kilomètres de Paris." Ce but a été atteint et le livre a certainement contribué à relancer les études sur cette relique.
En 2003, Le sous-préfet d'Argenteuil Jean-Pierre Maurice décide de faire effectuer une datation de la tunique au carbone 14, ainsi que des études complémentaires sur le tissu. Il publiera une relation de ces travaux en 2005, dans un livre intitulé Une si humble et si sainte Tunique (éditions François-Xavier de Guibert), sous le pseudonyme de Jean-Maurice Devals. Ce livre de sous-préfet, ... peut-être rédigé aux champs (rares à Argenteuil !), se lit comme un roman ... policier, avec tous les inconvénients que comporte ce compliment pour un livre à vocation scientifique ! On y suit pas à pas le déroulement des opérations : les premiers contacts avec les autorités religieuses, l'administration, la municipalité d'Argenteuil, les scientifiques ; l'arrivée du reliquaire au domicile du sous-préfet le 12 octobre 2003, de nuit pour ne pas éveiller l'attention ; les prélèvements, etc. L'après-midi du dimanche 12 octobre est un temps fort, quasi-mystique dans la vie du sous-préfet : "Je sens quelque chose qui se dérobe dans la Sainte Tunique à mesure que j'essaie de m'en saisir. J'ai l'intuition, peu scientifique, que quelque chose doit rester caché." Mais la nuit, tout s'apaise : "J'ai dormi dans la pièce juste à côté, laissant la lumière du couloir allumée. Je me suis éveillé à quatre ou cinq reprises me disant chaque fois : ' Tout est bien ' ." Le résultat le plus important mentionné dans ce livre est évidemment celui de la datation au carbone 14. La mesure effectuée au laboratoire de Saclay le 7 mai 2004 donne une datation entre 530 et 650 après Jésus-Christ, avec une probabilité de 95,4% de se trouver dans cette fourchette. Fallait-il en conclure que la relique était un faux ?
C'est à cette question que
répond en particulier le livre intitulé Le linceul de Turin
et la tunique d'Argenteuil d'André Marion et Gérard Lucotte (Presses de la
Renaissance), tous deux scientifiques, le premier expert en
traitement des images et enseignant à Paris-Sud, et le second généticien, professeur à l'Ecole d'anthropologie de
Paris. En fait le livre,
malicieusement sous-titré : "Après les romanciers, la parole aux
scientifiques", se décompose en deux partie traitant chacune d'une des
reliques de la Passion : le linceul de Turin et la tunique d'Argenteuil (quelques développements concernent
en outre une troisième relique de la Passion : un
suaire conservé à Oviedo, en Espagne). Ces
deux parties se renforcent l'une l'autre. Comme nous l'avons vu, les études sur
le linceul sont beaucoup plus avancées que celles sur la tunique et sa datation au carbone
14, qui remonte à 1988, avait conclu à l'oeuvre d'un faussaire exécutée entre 1260 et 1390. Or ce
résultat contredit les résultats de
toutes les autres études réalisées tant avant qu'après cette datation :
histoire du linceul, études médicales, études du tissu, des pollens
retrouvés à sa surface, analyse des caractéristiques très particulières de
l'image (et en particulier image en négatif sur le tissu dont on n'a pu
apprécier toute la richesse que par le négatif d'une photo prise ... en 1898), etc. Si
bien qu'aujourd'hui cette datation n'est plus admise par tous les
scientifiques sérieux. Comment expliquer cette défaillance d'une méthode
considérée pourtant comme fiable. Les auteurs du livre donnent une explication qui paraît crédible :
au cours de leur existence, les objets à dater se trouvent au contact de
substances organiques plus jeunes, qu'il est nécessaire d'éliminer avant
datation : c'est l'objet des traitements chimiques préalables. Mais ces
traitements, qui sont efficaces dans le cas d'un volume homogène, ne le sont plus
dans le cas d'un tissu où l'enchevêtrement des fils crée une surface exposée
à l'extérieur importante, comparée au volume de l'objet étudié, et difficile à nettoyer parfaitement. De sorte que
le procédé peut dater, non le tissu, mais des apports ultérieurs et donc
rajeunir artificiellement la datation du tissu. Dans cette hypothèse, le
résultat peut varier d'un échantillon à l'autre en fonction du degré de
contamination par des substances organiques plus récentes, de la qualité du nettoyage,
etc. Pour vérifier cette hypothèse, André Marion et Gérard Lucotte ont fait dater un échantillon de la
tunique d'Argenteuil dont ils disposaient, par la société Archéolabs réalisant des datations au
carbone 14 pour le compte des Monuments historiques. Le résultat obtenu (entre 670 et 880
après J.-C. avec une probabilité de 95,4%) ne correspond pas du tout à celui obtenu à Saclay (530 - 650) : les fourchettes ne se recouvrent pas et les
valeurs moyennes diffèrent de près de 200 ans ! Cette expérience confirme
donc le
caractère très aléatoire de la datation au carbone 14 de tissus, et ce qui
vaut pour la tunique vaut aussi pour le linceul de Turin.
Mais ce livre fournit pour la tunique d'Argenteuil quantité d'autres résultats intéressants. Ainsi les auteurs ont retrouvé à sa surface des pollens de deux espèces particulières de tamarin et de pistachier qui ne se rencontrent qu'en Palestine, espèces que l'on a aussi retrouvées sur le linceul de Turin et sur le suaire d'Oviedo. Ils ont également analysé le sang présent sur la tunique. Il est de groupe AB, le plus rare (4 à 5 % de la population mondiale, mais beaucoup plus répandu en Palestine), groupe auquel appartiennent aussi les sangs analysés sur le linceul de Turin et sur le suaire d'Oviedo. Enfin, les études d'ADN ont montré que le sang était d'un individu de sexe masculin et d'origine ethnique juive moyen-orientale. Les auteurs concluent leur ouvrage sur une piste de recherche prometteuse : ils viennent de reconstituer l'empreinte ADN du sang trouvé sur la tunique et ils espèrent pouvoir comparer cette empreinte qui, comme on le sait, caractérise de façon unique un individu, à celle relevée sur le linceul de Turin.
Il y a bien d'autres choses dans ce livre qui mériteraient d'être citées ; toutes concourent à la confirmation par la science de ce que déjà la tradition nous assurait : notre région a le privilège de conserver à Argenteuil, dans la basilique Saint-Denys, un témoignage insigne de la Passion du Christ : la relique de sa tunique sans couture tachée de son sang offerte à notre vénération.
La basilique Saint-Denys d'Argenteuil est ouverte le samedi et le dimanche, de 16h à 17h et les autres jours de 15h à 17h.